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L’entretien annuel est-il encore utile ?

Marie Lakanal

Par Marie Lakanal

avril 9, 2025

C’est un rituel RH aussi ancien que répandu. Une fois par an, collaborateurs et managers se retrouvent, cochent des cases, échangent des feedbacks, fixent de nouveaux objectifs. Pourtant, l’entretien annuel est de plus en plus questionné. Trop formel, trop tardif, parfois creux ou désincarné : nombreux sont ceux qui remettent en cause sa pertinence.

Dans un monde du travail en mouvement permanent, où l’agilité, la transparence et la co-construction gagnent du terrain, ce format figé semble en décalage. Faut-il pour autant l’abandonner ? Ou simplement le réinventer ?

Les limites de l’entretien annuel traditionnel

Longtemps considéré comme un incontournable de la gestion des talents, l’entretien annuel traverse aujourd’hui une zone de turbulences. Selon une étude publiée par Elevo, seuls 15 % des salariés français estiment que cet échange a un réel impact sur leur carrière ou leur développement. Le chiffre, à lui seul, résume un désamour croissant.

Première critique : le caractère trop ponctuel de l’exercice. Un rendez-vous unique pour faire le bilan d’une année entière, dans un environnement professionnel marqué par des cycles courts et des transformations rapides, paraît souvent déconnecté. Le format figé ne permet pas de capturer les évolutions constantes des missions ni les attentes des collaborateurs au fil de l’eau.

Autre point d’achoppement : le manque de suivi. Combien d’actions identifiées lors de l’entretien donnent lieu à un véritable plan, à des formations concrètes, à des feedbacks intermédiaires ? Dans bien des cas, les échanges restent lettre morte, faute d’alignement managérial ou d’outils de pilotage adaptés.

Enfin, l’entretien annuel concentre un enjeu symbolique parfois trop lourd. Pour certains collaborateurs, il devient un moment de stress, d’évaluation figée, voire de jugement. Pour les managers, un exercice contraint, chronophage, où l’on se borne à remplir des grilles standardisées sans réelle profondeur.

Autant de limites qui expliquent la remise en question croissante de ce rituel RH — et appellent à repenser ses finalités comme ses modalités.

Vers une évolution des pratiques d’évaluation

Face aux critiques, les entreprises n’ont pas tardé à chercher des alternatives. Depuis quelques années, une tendance se dessine : celle d’un décentrement de l’entretien annuel, au profit d’un dialogue continu, plus souple, plus intégré au quotidien professionnel.

Le premier changement visible est l’émergence du feedback régulier. De nombreuses organisations ont mis en place des points de contact fréquents entre managers et collaborateurs : échanges trimestriels, bilans de mission, ou simples “check-in” informels. L’objectif : capter en temps réel les besoins, les progrès, les irritants. Des plateformes comme Elevo ou Javelo facilitent cette dynamique, en structurant les retours tout au long de l’année.

Autre évolution notable : l’usage accru des outils digitaux. Les nouveaux SIRH proposent des modules d’évaluation individualisés, ludiques, parfois co-construits. L’évaluation devient un processus vivant, partagé, et non un rapport figé à soumettre en fin d’année. Certaines entreprises vont jusqu’à impliquer les collaborateurs dans la définition de leurs propres indicateurs de succès.

Enfin, le regard porté sur la performance évolue. On ne juge plus seulement un individu, mais aussi un contexte, une trajectoire, une capacité à apprendre. Les critères deviennent plus qualitatifs, plus humains. C’est le signe que l’évaluation quitte progressivement le terrain de la sanction pour celui du développement.

Témoignages et avis d’experts

La remise en question de l’entretien annuel traditionnel suscite des réflexions variées parmi les professionnels des ressources humaines et les experts en management. Leurs témoignages offrent un éclairage sur les évolutions en cours et les alternatives envisagées.

Rozenn Conan Bruandet, DRH du Groupe Galapagos (Loc Maria Biscuits, Alpina Savoie, Cookies Creation), a entrepris une refonte complète de la politique d’entretiens annuels au sein de son entreprise. Initialement réservés aux cadres et aux collaborateurs du siège, ces entretiens ont été étendus à l’ensemble des salariés, y compris ceux des sites de production. L’objectif était de contribuer au développement de la performance de l’entreprise et de créer un climat de confiance à travers des échanges privilégiés. Rozenn Conan Bruandet souligne l’importance de la préparation pour la réussite de ces entretiens, tant du côté du manager que du collaborateur, afin de faciliter un dialogue constructif et donner du sens au projet professionnel de chacun. 

Olivier Sibony, professeur de stratégie à HEC Paris, met en lumière les limites de l’entretien annuel, notamment en raison de la confusion entre évaluation de la performance et développement des compétences. Il souligne que cette dualité d’objectifs peut générer du stress chez les collaborateurs et nuire à l’efficacité de l’exercice. Sibony plaide pour une dissociation de ces deux aspects, favorisant des évaluations plus fréquentes et ciblées, afin de mieux répondre aux besoins des employés et aux objectifs de l’entreprise. 

Ces témoignages reflètent une tendance croissante à repenser les modalités d’évaluation des collaborateurs, en privilégiant des approches plus flexibles et adaptées aux réalités du travail contemporain.

Recommandations pour une évaluation efficace

Si l’entretien annuel doit évoluer, il ne s’agit pas pour autant de le supprimer purement et simplement. La clé réside dans sa transformation. Voici quelques principes essentiels identifiés par les praticiens RH les plus avancés.

1. Varier les formats et les temporalités.

Plutôt qu’un unique rendez-vous figé, les entreprises gagnent à instaurer des points réguliers : mensuels, trimestriels ou à la fin de projets-clés. Ces entretiens intermédiaires, plus courts et moins formels, permettent un suivi dynamique et réactif des parcours.

2. Outiller les managers.

La qualité d’un entretien repose en grande partie sur la posture du manager. Il ne s’agit pas seulement d’évaluer, mais d’écouter, de co-construire, d’accompagner. Former les managers à ces compétences relationnelles est indispensable. Des outils comme des guides d’entretien ou des plateformes facilitant la prise de notes et le suivi peuvent également professionnaliser la démarche.

3. Personnaliser les démarches.

Tous les collaborateurs n’ont pas les mêmes attentes. Certains souhaitent des retours très réguliers, d’autres préfèrent des temps plus espacés mais plus approfondis. Adopter une approche modulaire permet de répondre à la diversité des profils, tout en respectant une trame commune garante d’équité.

4. Déconnecter évaluation et rémunération.

Lorsque la reconnaissance financière est directement liée à l’entretien annuel, celui-ci devient anxiogène et perd sa fonction de développement. De nombreuses organisations choisissent désormais de dissocier les deux temporalités : un entretien de performance, et un temps dédié à la progression.

En repensant ces grands principes, les RH ne renoncent pas à évaluer : elles redonnent à l’évaluation son sens profond — celui d’un outil au service de la croissance mutuelle.

Dans un monde professionnel qui valorise l’agilité, la co-responsabilité et le dialogue permanent, l’entretien annuel ne peut plus rester figé. Ses défauts sont connus, ses effets parfois déceptifs — mais il serait réducteur d’y renoncer sans réfléchir. Car bien repensé, enrichi d’outils et de rituels complémentaires, il peut redevenir un levier structurant.

L’avenir de l’évaluation n’est ni dans la disparition des entretiens, ni dans leur automatisation totale. Il est dans leur adaptation : à la culture d’entreprise, aux attentes des collaborateurs, aux cycles de l’activité. Et dans la capacité, surtout, à faire de chaque échange un moment utile, sincère, au service du développement mutuel.

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