Recruter à l’ère de l’IA : promesse ou imposture ?


Par Marie Lakanal
L’intelligence artificielle s’est invitée dans les processus de recrutement avec la promesse de tout transformer : analyser des milliers de candidatures en quelques secondes, identifier les meilleurs profils, éliminer les biais humains. Mais derrière l’efficacité algorithmique, une question persiste : ces outils tiennent-ils vraiment leurs promesses, ou répliquent-ils — à grande échelle — les angles morts du jugement humain ?
Alors que les entreprises accélèrent leur digitalisation RH, les systèmes dopés à l’IA se multiplient, des ATS intelligents aux entretiens vidéo évalués par machine learning. Faut-il s’en réjouir, ou s’en inquiéter ? Et surtout : comment en faire un levier au service d’un recrutement plus juste, plus efficace, plus humain ?
L’IA au service du recrutement : quelles promesses ?
La première promesse de l’intelligence artificielle dans le recrutement est celle de la vitesse. Tri des candidatures, préqualification automatisée, matching de CV : les tâches chronophages des recruteurs peuvent désormais être prises en charge par des algorithmes capables d’analyser des milliers de profils en quelques minutes. Un gain de temps considérable, notamment dans les phases amont du processus.
Au-delà de la productivité, l’IA revendique aussi une amélioration de la pertinence des recrutements. En croisant des données issues de précédentes embauches, d’évaluations internes ou de tests en ligne, certains systèmes promettent d’identifier des profils “idéalement compatibles” avec un poste, une culture d’entreprise, voire un style managérial. Des plateformes comme HireVue, Eightfold ou Harver ont bâti leur modèle sur cette capacité d’analyse prédictive, souvent appuyée par du machine learning.
Enfin, les défenseurs de l’IA avancent un dernier argument : celui de la diversité. Contrairement à un recruteur humain qui peut être influencé par des biais conscients ou inconscients, un algorithme bien entraîné serait en mesure d’ouvrir le champ des possibles, d’explorer des profils atypiques, et de réduire certaines discriminations à l’embauche. C’est cette utopie d’un recrutement plus neutre, plus méritocratique, qui séduit aujourd’hui de nombreux départements RH.
Les risques et dérives des systèmes de recrutement basés sur l’IA
Derrière la promesse d’un recrutement plus rapide et plus objectif se cache une réalité plus nuancée. L’un des risques majeurs associés à l’intelligence artificielle dans les RH tient en un mot : biais. L’exemple désormais classique d’Amazon, qui avait dû abandonner son algorithme de sélection favorisant les candidatures masculines en raison de données historiques biaisées, illustre ce danger avec force. Car un algorithme, aussi performant soit-il, reste tributaire des données sur lesquelles il a été entraîné — et celles-ci reflètent souvent les pratiques du passé.
Autre écueil : la transparence. De nombreux outils basés sur l’IA fonctionnent comme des “boîtes noires”, dont les critères de décision ne sont ni accessibles ni compréhensibles pour les candidats — voire pour les recruteurs eux-mêmes. Que se passe-t-il lorsqu’un logiciel attribue une faible note à un profil sans pouvoir justifier son jugement ? Quelles garanties pour le droit à l’explication, pourtant inscrit dans le règlement européen sur la protection des données (RGPD) ?
Enfin, il y a le risque plus diffus, mais tout aussi réel, de déshumanisation du processus. Dans certaines entreprises, les candidats passent aujourd’hui un entretien vidéo entièrement analysé par IA, sans interaction humaine. La fluidité verbale, l’expression faciale, le ton de la voix sont passés au crible d’un algorithme, avec à la clé un score qui influencera la suite du parcours. Une expérience perçue comme froide, voire intrusive, par de nombreux postulants — et qui interroge sur la place accordée à l’intuition, à l’empathie, à l’imprévu dans la rencontre entre un candidat et une entreprise.
Face à ces dérives, une question s’impose : comment encadrer l’usage de l’IA pour qu’elle reste un outil au service des talents — et non un filtre incontrôlable ?
Anticipation et gestion des risques RH
Quand l’environnement devient instable, l’anticipation cesse d’être un luxe : elle devient une nécessité. Pour les directions RH, cela suppose de développer une véritable culture de la gestion des risques, souvent sous-estimée dans les fonctions humaines. L’un des leviers clés est l’élaboration de scénarios prospectifs : que faire si les tensions commerciales s’intensifient encore ? Si une zone géographique devient inopérante ? Si l’entreprise doit ajuster rapidement ses effectifs ?
Ces scénarios ne doivent pas rester théoriques. Ils doivent être traduits en plans d’actions clairs : mobilité interne accélérée, gel ou report des recrutements, recours à des compétences externes en mode agile, ajustement des avantages sociaux selon les régions, etc.
La flexibilité devient également une valeur cardinale. Dans de nombreuses entreprises, cela passe par une structuration plus souple des équipes, une montée en puissance des modèles hybrides, ou la mise en place de dispositifs d’ajustement temporaire de l’activité, en lien avec les partenaires sociaux.
Enfin, la veille réglementaire s’impose comme une mission stratégique. Dans un contexte de reconfiguration des relations commerciales, notamment entre l’Europe et les États-Unis, il est essentiel pour les RH de suivre les évolutions juridiques — sur les contrats internationaux, les obligations de conformité, ou encore les régulations sur les transferts de données. Cette dimension, longtemps réservée aux directions juridiques, devient désormais un terrain commun à explorer ensemble.
Loin d’être un simple spectateur des bouleversements économiques actuels, le département RH se révèle être un acteur décisif de la navigation stratégique des entreprises. Face aux turbulences géopolitiques, les ressources humaines deviennent un levier de continuité, d’anticipation et de transformation.
Il ne s’agit plus seulement de gérer les compétences, mais de piloter des trajectoires humaines dans un monde mouvant. Dans cet écosystème incertain, les directions RH doivent conjuguer réactivité et lucidité, s’appuyer sur des données fiables, écouter leurs collaborateurs et oser redéfinir leurs pratiques.
Ce contexte, aussi exigeant soit-il, est aussi une opportunité : celle de repositionner les RH au cœur du pilotage stratégique. Car dans la tempête, les fonctions humaines ne sont pas seulement un soutien. Elles sont un cap.

Par Marie Lakanal
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